En fin d’année dernière, dans le coup de feu des expéditions de Noël et Jour de l’An festifs, j’avais reçu ce courrier de Laurent Foubert, Caviste à Paris, qui me portait à réflexion, interrogation, remise en question … ? ? ?
Comment le monde viticole et vinicole, la vigne et le vin, le secteur de l’agriculture et l’agroalimentaire en général, est perçu en ce début 2007.
Voici sa missive, tout brut nature, sans préjugés, sans épilogue, sans commentaire parce que je m’interroge aussi sur le passé, le présent et l’avenir de la vigne et du vin, à l’heure d’Internet – du Web virtuel, du réchauffement de la planète, de l’Euro, de la Mondialisation, … 21 ans après le passage de la Comète de Halley, de Tchernobyle, … en 2007 après J.C.
Courrier de Laurent Foubert
Paris, le 17/11/2006.
Avant-propos
Le but de ce texte est d’ouvrir une nouvelle voie, un débat collectif avec ceux qui se reconnaissent dans ses idées et veulent fermement agir pour l’identité culturelle et gustative des vignobles, français ou étrangers.
Au-delà des querelles de chapelles, il pose finalement une question fort simple :
que voulons-nous ? que défendons-nous ?
Par « nous », il faut bien sûr entendre le monde vigneron, mais aussi tous les professionnels, associations et passionnés du vin et du domaine du goût dans son ensemble.
Car la problématique du vin rejoint malheureusement celle de nombreux produits alimentaires.
Les propos qui suivent sont soumis à leur approbation, à leurs critiques et n’attendent rien d’autre que des propositions contribuant à une mise en application rapide, efficace et durable.
Contexte
La stratégie de gestion à court terme et une vision réductrice des AOC a produit une crise d’identité du vin français. De nombreuses étiquettes se sont décollées du terroir et ont fini par usurper les identités qu’elles revendiquent et monnayent copieusement, créant un problème d’identification et une crise de confiance chez le consommateur. Pire encore, les méthodes d’exploitation et l’organisation de la production ont porté un coup parfois fatal aux piliers des appellations : l’environnement, la connaissance de ce dernier et le savoir-faire partagé au sein de la communauté.
Face à une tendance qui propose de délayer ces identités pour trouver une issue à la crise, d’autres ont choisi la voie strictement opposée : réaffirmer l’existence, défendre cette entité culturelle, naturelle et gustative unique qu’est l’AOC. Une action minoritaire, loin d’être isolée. Elle participe d’un mouvement de conscience qui dépasse de loin le seul monde du vin et vient de trouver un soutien potentiel des plus puissants dans la création du concept de patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO.
La « Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » du 17 octobre 2003, entérinée début 2006, ouvre en effet des perspectives nouvelles à ceux qui se sont engagés dans ce combat et à ceux dont l’avenir dépend de son issue.Patrimoine immatériel de l’humanité : définition
Partant du constat que la mondialisation et les transformations sociales qu’elle a entraînées « font peser de graves menaces de dégradation, de disparition et de destruction sur le patrimoine culturel immatériel », la Convention met en place des mesures importantes de protection de ce dernier, défini comme « creuset de la diversité culturelle et garant du développement durable ». On poursuit : « Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de générations en générations, est recréé en permanence par les communautés et les groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de l’histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité ». Il relève notamment des champs suivants :
« pratiques sociales, rituels et événements festifs,
connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers,
savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel. »
Le vin, patrimoine culturel immatériel ?
Cette définition et toutes ses implications ne laisseront pas indifférents les défenseurs de l’identité et de l’esprit des AOC. Car au-delà même de sa valeur symbolique dans la culture occidentale, le vin est l’exemple parfait de cette conjonction en un même objet, de l’histoire, de la mémoire collective, de la connaissance d’un milieu et de savoir-faire locaux. Depuis l’identification des crus au fil des siècles jusqu’au choix des méthodes de vinification ou des façons de tailler la vigne, en passant par la sélection des cépages en fonction de leur adaptation à un milieu donné, chaque vin apparaît comme le produit de ce travail collectif, conduit et relayé de générations en générations, qui définit le patrimoine immatériel de l’humanité. Plus encore : tout autant que le produit et sa technicité, les caractéristiques du milieu où il se développe rencontrent cette définition. De récentes recherches visant à cerner le concept de terroir montrent que les racines de la vigne créent avec le temps les conditions physiques et micro-biologiques qui feront de tel endroit le creuset d’une identité gustative unique. Au-delà du simple paysage, l’homme est intervenu au sein de la nature et du vivant pour en faire un véritable patrimoine, par l’intermédiaire de la vigne.
C’est de ce patrimoine que les AOC tiennent leur légitimité et leur raison d’être. Or, les traitements chimiques, l’abandon de certains terrains inadaptés aux méthodes d’exploitation industrielle et la perte des savoirs et savoir-faire menacent directement l’intégrité de ces ères culturelles, tout en faisant disparaître la relation particulière de l’homme à la terre qui s’y est développée. L’infraction des standards (de l’industrie ou de la législation) dans cet univers compromet à la fois la diversité et la durabilité de ses formes. Le vin et les AOC en tant que patrimoine sont gravement en danger.
L’idée de vouloir les placer sous la protection de l’UNESCO se défend donc parfaitement, dans certaines conditions.Perspectives et intérêts
Protection, promotion, information, campagne de sensibilisation auprès du grand public, instauration de programmes de recherche et de formation des acteurs locaux… la Convention prévoit une batterie très complète de mesures parfaitement adaptées aux problématiques des AOC.
A commencer par celle de la sortie de l’obscurantisme.Rétablir un discours sensé sur le vin et les AOC
Sans parler du traitement monolithique de la question de l’alcool (qui serait une seule et même molécule…) et de l’occultation des recherches les plus poussées sur la consommation modérée de vin, la diffusion du discours encourageant la signalisation « du » cépage, de préférence à l’appellation, pour « simplifier » le choix du consommateur est un symptôme préoccupant de cet obscurantisme. Négligeant l’effet de la déception réitérée sur la complexité du choix (c’est quand un produit déçoit l’attente que créait son label qu’il devient complexe), cette approche volontairement simpliste oublie que les mécanismes du terroir modifient les propriétés gustatives issues du ou des cépages. Et qu’il est tout bonnement impossible de construire un système de repères fiables sur cette base, pour les vins de terroir. Adopter cette nouvelle carte d’identité reviendrait à tirer un trait sur un patrimoine historique, naturel et artisanal colossal. Et que dire de la pauvreté du spectre que l’on voudrait ainsi substituer à la diversité des cépages locaux ou minoritaires ?
De là à penser qu’il s’agit d’une tentative d’éviction du terroir dépassant le simple cadre de la viticulture, il n’y a qu’un pas… N’entend-on pas dans les plus hautes sphères que ce concept flou et peu consistant ?
Dans ce contexte, la reconnaissance de l’UNESCO et les moyens suffisants pour programmer et diffuser de nouveaux travaux prouvant l’existence des terroirs et mesurant les impacts environnementaux, culturels, économiques et sociaux de leur disparition éventuelle seraient un appui très précieux face aux forces de standardisation.
Au sein des AOC, une démarche allant dans le sens de cette reconnaissance créerait une dynamique vertueuse d’affirmation d’identité, et donc de différenciation sur le marché, ainsi qu’un mouvement salvateur de réappropriation des savoirs et savoir-faire au niveau local. Car la tendance actuelle est plutôt à la progression du doute et de la désaffection.Sortir d’un modèle de prédation
Le problème de l’information et de sa diffusion, en laissant place aux discours obscurantistes, permet en effet l’installation d’une relation de prédation touchant les producteurs, les appellations et l’environnement naturel et social. L’influence des conseillers techniques et l’imposition d’une certaine idée de la qualité ont conduit non seulement des vignerons à mettre de côté leur connaissance du milieu et à perdre leur savoir-faire, mais encore à déprécier la valeur de leurs particularités. Résultat : abandon de terrains ou de cépages jugés trop difficiles à exploiter, expansion de surfaces impropres à la production viticole et pourtant rattachées aux appellations, disparition de méthodes de vinification traditionnelles au profit de standard souvent inappropriés, pollution (la viticulture est aujourd’hui le type d’agriculture le plus polluant en France), et parfois réduction du vigneron à l’état de simple producteur de raisins. Une redistribution qui bénéficie aux fournisseurs de produits de synthèse et autres solutions oenologiques, et aux assembleurs et grandes structures de mise en marché : le schéma productiviste suit son cours normal : augmentation des volumes, baisse de la valeur de la matière première, dépendance du producteur. Les vins issus de ce système portent le même nom que les vins respectant les ressources et l’héritage de leur appellation, tout en affichant une perte considérable de qualité et en devenant majoritaires. A cette échelle, la prédation prend la forme de l’usurpation d’identité, transformée en marque et vidée de son contenu objectif.
Un mouvement de retour à l’autonomie de la profession de vigneron et réintégration des savoirs au niveau collectif sont donc plus que souhaitables. A ce titre, la batterie de mesures prévues dans le cadre de la Convention est encore une chance réelle d’assurer un avenir pérenne aux AOC. De même, le décloisonnement de la certification qu’impliquerait cette démarche offre une issue valable au problème actuel de la gestion des appellations, soumises à une majorité appartenant au monde de l’industrie ou tout simplement accessible à un relâchement des exigences. Une caution extérieure jouerait le rôle précieux de garde-fou tout en valorisant considérablement la démarche des vignerons concernés.
Une démarche qui se doit d’être collective, de par sa complexité et de par ses buts.Décloisonnement et solidarité
Le monde du vin doit se reconnaître une solidarité et des intérêts communs au sein des appellations et par-delà les limites de celles-ci pour aboutir dans ce projet. Quelques vignerons ayant compris la nécessité de ce décloisonnement se sont réunis pour défendre l’intégrité des AOC, et non l’image de leur seule appellation. Un socle qui devrait permettre la création d’un réservoir commun d’expériences et de savoirs fondant une éventuelle démarche auprès de l’UNESCO. Mais la mise en place de relations privilégiées avec les centres de recherche et les universités pourraient également consolider ces dossiers en apportant un point de vue multi-disciplinaire sur leur spécificité. D’autant que nombre de travaux très précis ont déjà été réalisés. Même s’il s’appuie sur un réseau beaucoup plus large, et idéalement international, ce point de départ local est sans doute préférable à un traitement global de la question. Un dossier trop large (« les AOC », ou « le vin français ») risquerait d’aller contre le but de la démarche, qui est précisément de protéger des particularités, et avec elles, la diversité. D’autre part, mettre un grand nombre d’appellations d’accord sur un projet commun impliquerait, dans le processus de décision, l’intervention d’acteurs dont les intérêts ne concordent en rien avec les motivations évoquées ci-dessus. Miser sur l’initiative locale et l’autodétermination pour voir émerger des projets-pilotes et entraîner d’autres appellations dans cette démarche semble la façon la plus souple et efficace d’amorcer le mouvement. Dans cette optique, un dossier commun serait plutôt l’étape couronnant le succès de ces différentes initiatives.
Vers un nouveau modèle d’économie
Solidarité, mutualisation des savoirs, primauté du local… nous sommes loin des schémas dominants le discours économique actuel. Mais ce dernier achève de prouver l’innocuité de certains de ses présupposés, notamment dans le domaine de l’agro-alimentaire. Si elle a lieu, l’initiative du monde du vin auprès de l’UNESCO marquera une volonté de retour à une économie acceptant l’existence de limites nécessaires et placé « au service de ». Une économie éthique, en tant qu’elle assure la durabilité d’une vision du monde basée sur la valorisation et le respect des cultures dans leur diversité, et responsable, dans la mesure où ses acteurs (du producteur au consommateur, en passant par le distributeur) garantissent la pérennité de cette vision. Un retour aux sources du terme, puisqu’en grec, il signifie « gestion de la maison », ou du patrimoine, si l’on préfère;…
C’est en quelque sorte à cette inflexion qu’appelle l’UNESCO en désignant la mondialisation comme cause de la disparition du patrimoine immatériel. Saurons-nous l’entendre à temps ?
Le 17/11/2006 – Laurent Foubert
Membre du Convivium Slow Food Paris Terroirs du Monde